Les élections municipales et communautaires de 2020 ont montré à quel point les enjeux de la transition écologique ont pris une place centrale dans les grandes villes et agglomérations françaises. Les nouveaux exécutifs sont confrontés désormais à un environnement institutionnel à repenser pour mettre en œuvre les politiques publiques qui pourront répondre aux impératifs de la transition écologique pour lutter contre le réchauffement climatique. Le besoin de transition est rendu encore plus pressant face aux menaces d'une pandémie mondiale dont les conséquences impacteront durablement notre (éco)système.
La difficulté supplémentaire à laquelle font face nos institutions, pourtant souvent moteurs de la transition, est celui d'une défiance généralisée. L’action publique locale est malmenée d’abord parce qu’il lui est rendu difficile de se faire une place à côté du pouvoir central, à l’instar de la gestion de la crise de la Covid-19, mais surtout auprès des habitants qui participent de moins en moins aux échéances électorales, comme lors des dernières élections municipales.
Ce constat rend dès lors nécessaire un changement global de méthode pour entreprendre une transition qui permette à nos collectivités de renouer avec leur légitimité tout en permettant d’assurer, dans l'urgence, une efficacité pour bâtir le territoire exemplaire auquel nous aspirons.
Cette anticipation est centrale en matière de mobilité notamment. L’aménagement tel qu’il est planifié encore aujourd’hui dans de nombreuses villes moyennes empêche une remise en cause de la propension des habitants à se déplacer pour leurs besoins primaires, phénomène ce que l’on pourrait qualifier de « surmobilité », et de penser la décarbonation de nos modes de déplacements par la « démobilité ». Cette durabilité implique aussi une nécessaire innovation pour un urbanisme qui consacre la mixité de nos villes pour qu’y persistent emploi, offre commerciale et attractivité résidentielle réduisant ainsi mécaniquement le périmètre de la vie quotidienne.
Cette durabilité s'exprime également en termes financiers. Alors que les ressources de nos collectivités tendent à diminuer, les investissements pour les mobilités douces et transports en commun sont en constante augmentation. Préserver la capacité d’investissement de nos collectivités pour qu’elles renforcent leurs efforts dans la décarbonation des moyens de transport oblige donc à privilégier les opérations de densification pour agir efficacement et de façon plus économe pour la mobilité du plus grand nombre.
Il va de soi que pour envisager un respect des objectifs nationaux de « zéro artificialisation nette », il convient d’accepter que nos aménagements ne puissent plus s’additionner et qu’il faille repenser les espaces déjà urbanisés, en priorité ceux qui ont jusqu’ici été oubliés (friches) mais aussi ceux qui ne correspondent pas aux critères de durabilité indispensable évoqués précédemment. Cette proposition souligne une fois de plus l’impératif de densification de nos villes pour limiter l’impact de l’urbanisation sur nos espaces naturels et nos environnements. Mais cette densification, de par la pluralité des acteurs en action (y compris privés) nécessite du temps. La tolérance offerte avant 2050 en termes d'étalement (largement limité) doit d'abord être exploitée comme la possibilité d'une étape dans des opérations à tiroirs pour densifier notamment les zones d'activités ou pavillonnaires en transformation.
La campagne municipale survenue en pleine crise du coronavirus, les questions de densité qui se sont aiguisées suite au premier confinement (mars et mai 2020) ont été en plein cœur des préoccupations des électeurs et des habitants. Tous avaient fait l’expérience d’une vie restreinte à la géographie de leur appartement, à un rayon d’un kilomètre tout au plus. Faire accepter ce périmètre dans des centres-villes parfois déjà très denses implique d’accorder une attention particulière à la composition des espaces et à la présence d'îlots de verdure devenus absents après avoir été progressivement grignotés. Deux conditions permettraient de faire accepter cette densification : miser sur la qualité du bâti des constructions (surfaces, équipements, durabilité), mais aussi la qualité de vie interne au « quartier » (circulation, parcs, proximité). A ces deux axes, nous devons accorder toute notre attention.
Les pistes développées précédemment pour une transition de notre aménagement et des politiques publiques montrent que la légitimité d’action, la « bonne échelle » pour agir, semble correspondre à un échelon local, qui corresponde aux attentes du « bassin de vie » et de ses habitants. Ces notions sont sûrement complexes à définir ; pour autant, elles n’occultent pas forcément le nécessaire besoin de dialogue et de coopération des différents échelons de l’action publique. Les outils opérationnels cherchant à penser cette bonne échelle, tels que les PLUi, les SCoT existent et sont façonnés pour que cette coopération entre les différents échelons de juridictions soit mise en œuvre plutôt que de produire un nouveau parlement.
L’action publique locale souffre aujourd’hui d’un manque de légitimité dû à plusieurs facteurs, principalement :
Paradoxalement, alors que les nouveaux périmètres d’intervention disaient puiser les raisons de leur existence dans l’objectif de faire correspondre les besoins de l’habitant avec une échelle de décision à sa hauteur, ils contribuent fortement au sentiment d’éloignement des institutions locales par l'opacité de leurs visées et par leur faible légitimité démocratique.
« Nos institutions politiques sont aujourd’hui confrontées à la question centrale du pilotage de l’action publique » (Duran, 2009), les institutions politiques locales n’y échappent pas. « La croyance dans la légitimité du pouvoir politique se nourrit aussi de la réalité de sa puissance » (ibid). Ainsi, le problème de légitimité démocratique auquel font face nos institutions politiques locales trouve sa source dans la faiblesse de ses « réalisations » (Weber, 1965) face aux enjeux de la transition.
La faiblesse de ces réalisations réside dans le fait que les institutions obéissent à des impératifs électoraux qui ne correspondent plus aux échelles d’action stratégiques de la transition. Quel rôle joue finalement la commune dans les politiques publiques de la transition ? Trop insignifiant par rapport à l’échelle géographique de nos vies : les compétences en matière de mobilités et d’urbanisme sont aujourd’hui transférées aux intercommunalités. Pourtant, la ville a pour elle la légitimité électorale. Conséquence de cette fuite des compétences, l’élection municipale perd elle-même de sa légitimité, tant elle n’assure plus la souveraineté de la commune dans les organismes de coopération intercommunaux et dans les divers syndicats qui élaborent les politiques publiques, dont la composition ne relève que des jeux politiques d’influence entre les élus municipaux. Certes, il ne saurait être question d’organiser des élections convoquant le suffrage des citoyens pour chaque syndicat mixte, mais il importe d’assurer au sein de ces institutions une représentativité fidèle du suffrage universel. Dès lors, il semble évident que l’élection municipale, l’échelon du Conseil municipal n’a guère d’autre sens que celui de marquer l’identité administrative de la France et que ce que l’on appelle aujourd’hui les élections « communautaires » doivent avoir pour buts une clarification des missions et une légitimation des élus et des institutions.
Ces élections communautaires existent. Mais elles sont tout à fait absentes de l’imaginaire collectif des électeurs qui se rendent au scrutin municipal pour élire leur maire. De plus, ce scrutin est déformé par les modalités de représentation des communes membres de l’intercommunalité où la notion de proportionnalité dans la représentation démographique du territoire est souvent bien mise à mal dans la répartition des sièges. Il serait pertinent de proposer un scrutin de liste à l’échelon qui est aujourd’hui désigné comme l’échelon communautaire, car il correspond à la « bonne échelle » des enjeux de la transition en matière d’élaboration des politiques publiques.
Même si elle est réformée, l’élection ne peut plus être le seul guide de l’action publique, tout d’abord parce qu’elle a trop tendance à empêcher l’inscription de politiques publiques sur un temps long à cause du calendrier électoral, mais aussi parce qu’elle ne correspond pas l’instauration impérieuse d’un processus de politiques publiques durables, indispensables à la transition.
La participation citoyenne sur des projets locaux, qui parlent du quotidien, avec des élus qui ont le pouvoir d’agir pour ce quotidien est, à coup sûr, la solution pour pérenniser la transition une fois entrepris le chantier de refondation de la légitimité de nos institutions.
Antoine GRANGE
Conseiller municipal de la Ville d’Annecy et vice-président du SCoT du bassin annécien en charge de la transition écologique